Normes suisses pour les toits verts

Expériences et échanges sur trois ans de mise en pratique

Il est plus facile de continuer à prétendre que les solutions basées sur la nature ne peuvent pas fonctionner que de prendre une nouvelle étape qui ne repose pas sur un gain économique, mais repose plutôt sur l’écologie et la promotion de la biodiversité.

Chardonneret européen (Carduelis carduelis)
Biosolar Roof à Lausanne, Palais de Beaulieu—faire une pause & contempler — Chardonneret européen (Carduelis carduelis) Photo: Antoine Lavorel (2017)

Il y a quelques semaines à Lausanne nous avons, avec mes collègues de l’Université des sciences appliquées de Genève ainsi que ceux du département de nature urbaine de la ville de Lausanne, organisé une réunion d’une demi-journée, afin d’échanger nos expériences sur la mise en pratique des normes suisses pour les toitures végétales avec la Société suisse de Ingénieurs et architectes (SIA).

« La Société suisse des ingénieurs et des architectes SIA est l’association professionnelle de référence des spécialistes de la construction, de la technique et de l’environnement. Forte de plus de 16 000 membres actifs dans tous les domaines de l’architecture et de l’ingénierie, la SIA représente un réseau interdisciplinaire unique dont l’objectif central est de façonner le cadre naturel et bâti en Suisse selon des critères de durabilité et de qualité élevés. »

« La SIA et ses membres représentent la culture, la qualité et la compétence en matière de construction. Une réputation notamment liée à l’importante collection de normes éditées par la SIA. Celle-ci élabore, tient à jour et publie en effet un grand nombre de normes, règlements, directives, recommandations et documents divers, qui sont indispensables à la branche suisse de la construction. Quelque 200 commissions sont chargées du développement et du suivi de cette collection. »

Les normes SIA 312 ont été publiées en novembre 2013.

L’objectif de notre réunion à Lausanne était de voir, après plus de trois ans et demi, si ces «conseils» sont appliqués et s’ils sont efficaces pour atteindre les buts fixés.

Les normes en général

Dans cet article je vais vous parler des normes techniques dans le secteur de la construction. Il existe différentes normes, ce qui signifie des exigences techniques applicables à différents systèmes. Bien que ce ne soit pas un outil juridique, ces normes garantissent toutefois des pratiques testées et approuvées qui devraient aboutir à une planification, une exécution et un entretien de bonne qualité.

En quoi les normes SIA 312 « toits verts » sont elles spéciales ?

SIA 312 est un document explicatif extrêmement technique avec des phrases concises qui guide le lecteur du chapitre principal qui est l’étude de projet jusqu’au matériel à utiliser et à la mise en œuvre proprement dite. J’étais membre de la commission lorsque le projet a débuté en 2008 et notre défi était alors d’intégrer des paramètres écologiques afin d’atteindre un toit végétal de qualité tout en améliorant sa biodiversité. « Qualité » en termes de création de projet bien pensé : planifier correctement afin d’obtenir la végétation désirée en prenant en considération les cycles de vie des matériaux à utiliser pour que la faune et la flore s’établisse à long terme. Ainsi pour la première fois, les questions de compensation écologique, et les exigences qui s’en suivent, ont été intégrées dans un tel document en Suisse.

Toutes les parties prenantes impliquées dans le secteur du bâtiment étaient représentées dans cette commission : architectes, ingénieurs, constructeurs de toits végétalisés, spécialistes de l’étanchéité, producteurs de substrats, semenciers et pépiniéristes ainsi que les autorités municipales. De ce fait les références étaient suffisamment complètes.

Un bref aperçu de notre loi fédérale.

Un élément clé est que la loi intègre l’idée de compensation écologique. La compensation écologique est un terme général pour des mesures qui servent à maintenir et à restaurer la fonction des écosystèmes, en particulier dans des paysages densément peuplés ou très exploités par l’homme. La loi fédérale sur la protection de la nature et du patrimoine culturel (NCHA) exige des cantons qu’ils fournissent une compensation écologique (article 18b (2) NHG, art. 15 NHV). L’objectif principal de la compensation écologique étant de conserver une biodiversité locale.

Les mesures suivantes sont concernées par la compensation écologique:

  • Renforcer et recréer des espaces naturels
  • Créer des zones de soutien à la biodiversité (zones de compensation écologique)
  • Amélioration et développement écologique dans les zones urbaines (villes, etc.)
  • Actions dans les forêts (par exemple par une gestion des forêts plus naturelle, vieilles forêts, réserves forestières)
  • Trame verte (et bleue)

Les objectifs de la compensation écologique peuvent être ajustés selon les critères quantitatifs, qualitatifs et disponibles, qui sont expliqués dans la Loi fédérale sur la protection de la nature et du paysage

Étudier cette loi peut s’avérer très utile et révèle d’autres exigences et obligations dans le but de protéger l’environnement. Et plus précisément, en ce qui concerne les normes des toitures végétalisées, elles sont les suivantes:

2.7.1.1 Lorsque des mesures de compensation écologique sont requises, les critères suivants doivent être pris en considération:

  • épaisseur du substrat (variation). Cela signifie deux choses: 1) mélanger des substrats naturels ou recyclés (l’environnement naturel dans lequel un organisme vit ou le milieu naturel sur lequel un organisme pousse) comme du sable, le sol extrait pour les travaux, du gravier, du compost, des briques concassées, de la céramique écrasée etc. et 2) les varier en épaisseur sur toute la surface prévue (construit plus de micro habitats) – le minimum requis étant de 100mm d’épaisseur.
  • type de végétation (associations végétales), combinaisons d’espèces selon l’environnement que vous souhaitez (re)créer. Par exemple, un prairie sèche : des espaces ouverts avec une végétation basse et éparse, des plantes vivaces mixtes, etc. Ceci doit être pris en compte dans le processus de création.
  • répartition du substrat (variation): conception de différents types de paysages.
  • stockage des eaux pluviales : plus il y aura de variations dans les épaisseurs des substrats plus l’efficacité de rétention des eaux pluviales augmentera.
  • structures spécifiques pour les espèces animales (faune), comme des bûches de bois, des pierres, des tas de branches, ..
  • espèces de graines et plantules (espèces locales et indigènes) : Choisir des espèces indigènes et soutenir la flore et la faune locale (et la diversité génétique également).

2.7.1.2 Les conditions locales suivantes influencent également la réussite de la végétalisation d’un toit : Ils doivent donc être pris en considération lors de l’étude:

  • le rayonnement solaire (ombre portée, reflets, rayonnement thermique)
  • les précipitations (des sites peuvent être à l’abri de la pluie)
  • le vent (toit exposé, toit protégé, turbulences, effets d’aspiration)
  • la pollution (gaz d’échappements, poussières, ..)
  • la qualité et l’aspect de la nature environnante

2.7.1.3 Les exigences en matière de compensation écologique doivent être classées comme suit:

  • exigences de base (tableau 2)
  • exigences élevées (section 2.7.2)
  • exigences spéciales (section 2.7.3).

Cette classification offre donc trois choix, ainsi que l’option d’aller directement à la classification maximale (exigences spéciales). Dans le document proposé seules les exigences élevées et spéciales sont décrites en détail. Les exigences de base sont incluses dans les informations générales décrites dans le document (comme 2.7.1.1 qui concerne les détails des espèces végétales).

2.7.2.1 Exigences élevées:

  • exigences de base en fonction du climat
  • variations d’épaisseur de la couche végétale: façonnage de la couche végétale sur les surfaces (d’un point de vue statique, p.ex. Une épaisseur minimale de la couche végétale de 80 mm, 120 mm et 150 mm avec une répartition pour chaque épaisseur sur 1/3 de la superficie totale.)
  • plantes de la classe 3 (tableau 6 selon le document).

2.7.2.2 En outre quatre autres critères doivent être définis selon la liste suivante:

  • utilisation de deux ou plusieurs types de substrats (mélanges)
  • l’utilisation de terre végétale ou de matériaux d’origine locale, à condition que leur qualité (perméabilité, pourcentage d’argile, etc.) soit appropriée et/ou de substrats minéraux produits localement
  • Structure améliorant la biodiversité (aménagements): zones sablonneuses
  • Structure améliorant la biodiversité (aménagements): zones de gravier
  • Structure améliorant la biodiversité (aménagements): bois mort (piles de branches)
  • Structure améliorant la biodiversité (aménagements): bois mort (bûches)
  • Structure améliorant la biodiversité (aménagements): monticules de pierre
  • Structure améliorant la biodiversité (aménagements): spécifiques pour des espèces ciblées etc.

La liste est vaste, fournissant des spécifications pour les espèces ainsi que les associations végétales. A côté de ça vous trouverez bien sûr des informations sur les toits végétaux extensifs et intensifs, les espèces végétales et les différentes méthodes de végétalisation (graines, semis, mini-mottes et paillis de foin/herbe séchée broyée), la rétention d’eau, l’utilisation des eaux grises, le biosolaire (combinaison de toits végétaux biodivers avec des panneaux solaires) dans ce document.

Quel est le lien entre une norme ou une norme et la nature dans la ville?

Ces normes sont un outil de référence qui peut être utilisé pour exiger de tous les intervenants de la construction des standards pour des mesures écologiques. En particulier sur la façon de mettre en œuvre de la biodiversité dans le bâtiment et son environnement afin de s’assurer que la nature et la biodiversité peuvent y être améliorées. Les villes les ajoutent généralement aux normes de base, distribuant une documentation supplémentaire avec des graphiques et des photos afin de fournir plus de détails sur le sujet.

Une autre méthode de communication possible concernant ces normes est une démonstration grandeur nature installée par la ville de Lausanne il y a un an. Un toit végétal d’exposition qui illustre en quelque sorte le document. Les différentes caractéristiques des toits verts, y compris les mélanges de substrats, les différentes méthodes de végétation (plantes locales et indigènes) et divers projets allant de la toiture biosolaire à l’agriculture urbaine sur les toits, y sont représentés.

Colloque des toitures végétales, Lausanne SPADOM

Cet événement que nous avons organisé à Lausanne a accueilli environ 80 visiteurs venant d’entreprises privées comme d’institutions publiques, du milieu politique comme du secteur de la construction, et en provenance de toute la région suisse francophone.

Lausanne Service de Parcs et Domaines (SPADOM),
Ouverture de l’événement SIA au milieu de la place de l’exposition au SPADOM à Lausanne, avec toits biodivers et biosolaires. Photo: Nathalie Baumann (2017)

Nous avons débuté avec la visite du toit d’exposition, un an après sa création, pour montrer que cette « vitrine » est un atout supplémentaire qui peut accompagner le document écrit SIA 312. Elle est un excellent outil d’éducation et de communication.
Après l’introduction, les présentations et les discussions, les architectes, spécialistes de l’étanchéité et membres de l’Université des sciences appliquées à Genève, ont expliqué leurs expériences et leurs recherches récentes ainsi que leur avis en ce qui concerne l’utilisation de cet outil dans la mise en œuvre des normes SIA 312.

Toutes les présentations ont montré un progrès fabuleux que ce soit dans la recherche, la planification et /ou l’installation de toits verts (y compris biodivers et biosolaire).

Lausanne, SPADOM exhibition
Contexte: à l’arrière plan un toit biosolaire. Premier plan, une box vitrine modulaire sur roues pour expositions (box mobile) Lausanne, SPADOM. Photo: Nathalie Baumann (2017)

Il a été démontré qu’avec l’aide d’un toit d’exposition, une perception et prise de conscience différentes ont été crées. Tout comme il a réveillé l’intérêt de changer les pratiques et d’apprendre de nouvelles façons de créer des solutions basées sur la nature.

En revenant sur cet événement, un certain nombre de questions se posent. Pourquoi ne pas adopter ces projets plus facilement alors que nous savons qu’ils sont facilement réalisables ? Pourquoi existe-t-il une sorte de «peur» que ça ne fonctionnera pas, malgré les décennies de travaux documentant de bonnes (et très bonnes) réussites? Pourquoi cette méfiance persiste-t-elle ?

Mon hypothèse est qu’il est plus facile de continuer à prétendre que ça (les solutions basées sur la nature, l’abandon de la dépendance aux produits industrialisés, la protection des ressources, etc.) ne peut pas fonctionner si l’on veut prendre un nouveau chemin qui ne repose pas sur l’économie ou le gain/profit mais au contraire repose sur l’écologie et la promotion de la biodiversité. Nous retournons toujours à cette discussion récurrente sur les êtres humains et leur relation avec la nature. À mon avis, cela reste paradoxal et représente la lutte éternelle entre le désir de contrôler la nature et également de vouloir la tenir à distance.

Je suis très satisfaite des progrès réalisés ces trois dernières années, étant consciente que de tels changements n’évoluent généralement pas très vite. Cependant, dans le cas de Lausanne, les changements dans la partie francophone de la Suisse sont venus rapidement. Avec de bons outils, des personnes motivées et engagées qui souhaitent des changements, une bonne communication et des actions éducatives, il est possible de sensibiliser les différentes professions et parties prenantes dans un laps de temps relativement court.

Conclusion

Quel est l’essentiel de cette «histoire des normes» pour les citoyens non suisses? Quel en est le but ?

Le but de cette histoire est de donner un exemple concret de quelque chose qui pourrait évoluer dans n’importe quel pays ou ville dans le monde. Mais comment puis-je être si sûre que cela peut germer ainsi partout? La clé, à mon avis, est de trouver des personnalités politiques, des acteurs dans le secteur de l’urbanisme et du bâtiment et les persuader des avantages et impacts positifs des toits végétaux biodivers et biosolaires à la fois pour l’environnement et pour les personnes. Ceci ne va pas bouger et se faire tout seul, bien sûr. Mais comme nous l’avons fait en Suisse, poursuivez vos idées et les mises en œuvres auxquelles vous croyez et qui ont fait leurs preuves à force de patience et de détermination. Ainsi vous démontrerez à d’autres parties du monde que des changements peuvent se produire si on s’en donne les moyens, ce qui aura un impact positif sur l’environnement et sur l’économie verte.

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